Dans l’imaginaire collectif, on pense que l’auteur, une fois son manuscrit terminé, se la coule douce jusqu’à la publication.
(Son strident de mauvaise réponse à un quiz)
On oublie souvent plusieurs petits détails :
- L’auteur a beau avoir un certain talent pour écrire ce qui lui passe par la tête, il est loin d’être parfait.
- Très très loin, même.
- L’éditeur investira une belle somme de son budget pour transformer ce manuscrit en beau livre qui comblera le lecteur. Il souhaite, du plus profond de son cœur, que ce livre soit EXCELLENT, qu’il gagne des prix, ou, du moins, qu’il remporte suffisamment de succès, pour renflouer les coffres, un minimum.
- L’éditeur a donc, dans sa poche, une carte secrète qui l’aidera à atteindre son objectif : le responsable de la direction littéraire.
J’aimerais vous expliquer en quoi la direction littéraire me donne l’impression d’un tour de montagne russe d’émotions, l’espace de quelques semaines.
La promenade est plus intense si je travaille sur un texte de roman, puisque c’est un processus plus long. Pour les albums, c’est beaucoup moins exigeant (peut-être aussi parce que je suis meilleure pour écrire des albums, qui sait!)
J’utiliserai le féminin pour alléger le texte et surtout parce que ce sont presque toutes des femmes qui ont porté le chapeau de directrice littéraire dans mes projets.
Sachez d’abord que je les aime toutes. Elles sont des personnes cultivées, curieuses, sympathiques, respectueuses, dotées d’un talent d’analyse développé et d’un souci de la cohérence inné. Elles sont maîtres dans le domaine du « Je vois tout, partout. »
Bien que leurs qualités personnelles soient exemplaires, leur travail me met dans tous mes états.
Premier état :
L’inquiétude. J’ai déposé la première version de mon texte. J’y ai mis une partie de mon âme, du temps, de la passion, et j’ai peur qu’elle le déteste dès son premier regard en diagonale. J’aime mon texte, je suis fière de mon travail. Mais à cet instant précis, je doute de tout.
Avec le temps et l’expérience, je gère beaucoup mieux cet inconfort, qui se traduit surtout par un pincement au cœur lorsque j’appuie sur « Envoyer » et par un déni assez bien contrôlé qui m’empêche d’y penser pendant que j’attends son verdict.
Deuxième état :
L’angoisse. J’ai enfin reçu ses commentaires. Je survole son courriel comme une affamée devant un buffet, et j’ouvre ensuite mon manuscrit qui donne l’impression d’avoir subi un acte de violence grave. Non seulement il est entièrement charcuté, mais il est aussi rouge de commentaires qui débordent dans les marges.

Extrait de la direction littéraire d’Opération Gadoue, publié chez Fonfon en 2013. (Bonjour Sophie Sainte-Marie!) Pas assez assumée pour vous montrer quelque chose de plus récent.
Ça y est, je suis la pire auteure au monde.
Avec le temps et l’expérience, j’arrive de plus en plus à épargner mon estime de soi, malgré le fait qu’il me reste encore beaucoup de travail à faire sur ma personne pour recevoir le tout avec zénitude et sans atteinte à l’orgueil.
Troisième état :
Le découragement. J’ai maintenant pris le temps de déchiffrer tous les commentaires et le mont Everest se pointe à l’horizon.
Je n’y arriverai jamais.
Avec le temps et l’expérience, j’ai atteint le sommet de plusieurs de ces montagnes (toutes, à vrai dire), et j’essaie de garder en tête que ce sera le même type d’ascension. Difficile, parfois pénible, mais j’y arriverai.
État de passage :
Entre tous ces états, se glissent assez souvent l’espoir, la reconnaissance et d’autres sentiments positifs. Je suis heureuse d’appliquer certaines propositions brillantes qui améliorent mon texte en appuyant sur quelques touches seulement. Je suis soulagée de voir une maladresse effacée, une erreur grave éliminée, une incohérence corrigée. La direction littéraire est primordiale à tout travail d’auteur. Je ne publie pas de livre sans avoir reçu l’aide de cette personne précieuse, qui a la distance nécessaire face à mon texte pour le voir sous un jour nouveau. J’AIME la direction littéraire.
Quatrième état :
Le second souffle. J’ai accepté toutes les petites corrections banales qu’elle me proposait.
J’ai corrigé les éléments qui demandaient une réécriture simple. Je navigue dans mon texte en évitant les gros rochers. Eux, je les garde pour la fin, c’est là que je crains de m’échouer.
Avec le temps et l’expérience, je n’ai pas changé de technique.
Cinquième état :
Le courage de la guerrière. Il me reste seulement les bouts les plus résistants, ceux qui risquent de me casser les dents. Je les attaque en commençant par le plus faible, tout en observant le plus fort du coin de l’œil. Un jour ou l’autre, l’affrontement est inévitable. Parfois, je dénoue le tout avec patience et constance, d’autres fois, un appel inquiet à ma directrice littéraire patiente et accueillante est nécessaire.
Avec le temps et l’expérience, ce processus devient moins souffrant, mais il est encore possible que ma famille perçoive quelques signes d’irritabilité liés à la fatigue et aux multiples émotions. Souvent, les délais sont assez serrés, donc ce travail se fait de façon intensive.
Et un jour, le curseur qui défile sur mon manuscrit n’attrape plus de notes, plus de commentaires. Seules les traces de mon travail témoignent que j’ai fait du mieux que j’ai pu. Ce n’est pas encore totalement au point, il reste quelques allers-retours à faire avec ma directrice littéraire, mais le plus difficile est derrière moi. Et quand mon livre paraîtra, dans quelques mois, je serai remplie de fierté et persuadée qu’il a atteint la qualité que j’espérais.
Pourquoi est-ce que je vous parle de ça? Parce que je pense à tous les enfants et ados auteurs qui travaillent fort dans les écoles et qui s’imaginent que les auteurs publiés ne vivent pas les mêmes malheurs qu’eux. Oui, un déversement de stylo rouge sur un texte qui nous a demandé beaucoup de temps et d’efforts, ça fait mal, ça décourage, ça fait sentir poche en titi. Mais, ça aide à grandir, à s’améliorer et à ne plus répéter les mêmes erreurs. Il faut toujours garder ça en tête.
Lorsque ma directrice littéraire me glisse un « Wow » en commentaire, ou un « Hahahaha! » dans la marge, mon cœur se gonfle de bonheur. Les profs, n’oubliez pas de pointer les forces de vos élèves, il ne faut jamais sous-estimer l’effet positif d’un beau cœur dans la marge pour donner envie de continuer à écrire. En plus, un beau cœur, ça se trace hyper bien en stylo rouge!
Vous vous demandez quel roman a nécessité le plus de travail de réécriture ? Celui-ci! Écrire un livre dont vous êtes le héros, c’est loin d’être simple! (Mais j’adore ça!)
Texte : Valérie Fontaine
Éditeur : Les Malins
Directrice littéraire : Katherine Mossalim
Aussi, n’hésitez pas à aller fouiller dans la page des crédits de votre livre préféré (la page écrite en petits caractères que personne ne lit jamais :). Le nom de la personne responsable de la direction littéraire s’y trouvera! Remerciez-la en silence de vous avoir évité les erreurs de l’auteur!
Pour acheter ce livre: Ta vie de youtubeuse, tome 1
C’est toujours chouette de voir l’envers du décor 🙂
Ça rend encore plus justice au travail des auteures et auteurs.
Vous ne vous réveiller pas avec un livre fini sous votre oreiller 😉
Merci du partage!
Effectivement, il y a beaucoup de travail en coulisses! Mais ça vaut la peine!
Un élève de 5e année m’a récemment dit qu’il ne voyait pas la nécessité de corriger son texte, car les « vrais auteurs » avaient des personnes payées pour le faire à leur place.
Je crois que ton texte va permettre de défaire cette croyance. Plusieurs pensaient aussi qu’un texte est bon sur son premier jet, qu’il ne doit pas être retouché. Tes confidences mettent en lumière ce que représente un VRAI processus d’écriture.
Merci!
De nombreux adultes ont aussi la même impression! C’est très intimidant de croire que les auteurs écrivent parfaitement du premier coup pour tous ceux qui ont envie d’écrire. Écrire, c’est travailler le muscle de l’imagination comme ceux qui entraînent leur corps. Beaucoup d’efforts, d’erreurs, de retours à la case départ. Il y a très peu de différences entre mon travail et celui d’un élève qui écrit dans sa classe.